DIPSON; Back to the start...

Je monte et petit à petit mon regard se pose sur chaque marche, l’une après l’autre. Je gravis les 10 premières l’esprit ailleurs quand on me sort de mes rêveries, une mélodie qui semblait si lointaine vient irriter mes sens, j’ai l’impression qu’elle se rapproche. Ma main se porte à ma poche et en sort mon mobile, c’était donc ça. Une voix à l’autre bout du fil m’informe que l’on m’attend, je dis arriver, c’est faux, je ne veux pas assister à cette interview, encore moins répondre à des questions que j’aurais entendu mille et une fois par le passé. Elles se suivent, se ressemblent, finissent pas vous dégouter. Je n’ai même pas de promotion à faire, je suis en vacances, je ne suis pas venu à Eros pour revoir les mêmes gueules. Mon agent crie que si je ne veux pas qu’on croie que je suis mort il va falloir m’y rendre, prendre sur moi-même et être sympathique, c’est pour un magasine local, de simples questions, on me rendra ma liberté très rapidement. Je lui demande d’aller consulter pour ses nerfs, et sa santé mental, je n’irai pas. Il menace de démissionner, me traite de toutes sortes de noms d’oiseaux puis raccroche avant que je n’aie le temps de riposter.

Devant moi une vitre, il suffit de pousser la porte et je serai au calme à l’intérieur du Vinyle Vidi Cidi, je n’y ai pas mis les pieds depuis le temps où je n’étais alors qu’ un ado boutonneux. Ma main se pose sur le poignet, mes muscles s’apprêtent à se mettre en marche quand mes os se glacent, ma main tremble et lâche le poignet, je me tourne instinctivement, je sens mon cœur battre la chamade, je pose ma main dessus, lève les yeux au ciel. Je l’ai vu, elle était là, devant moi, je crois avoir rêvé. Non, je suis sûre avoir rêvé, je me retourne cette fois-ci les yeux fermés mais quand je les rouvre sa silhouette perdure dans le reflet de mes yeux. Quelqu’un me bouscule, peste, ouvre la porte et entre, dans l’entrouverture j’entends le son de sa voix. Ni un rêve, ni une illusion, Plume est de retour, mon Zahir, ma raison de vivre, l’amour de ma vie, la femme qui m’a fui, la responsable de mon succès et de mon échec, elle me manque, m’obsède, me hante. Avant qu’elle n’arrive à m’apercevoir je tourne les talons et m’enfuis.

La main sur le volant, j’ai l’impression d’être d’un autre monde, des électrochocs en plus violents encore secouent mon corps, je veux juste être ailleurs. Comme pour retourner dans le monde que j’ai voulu fuir en venant à Eros, je compose le nom d’Henry l’agent, son ton sarcastique me met hors de moi, il arrête de faire son con et m’informe que si je suis au rendez-vous dans 10 minutes, je pourrais toujours arriver à temps pour l’interview, il demande ce qui m’ a fait changer d’avis, je raccroche. J’arrive devant l’hôtel où on m’attend. Je regarde la façade et sans hésiter je m’engouffre à l’intérieur. La chaleur qui m’enveloppe alors me donne sensation d’être enfin chez moi, mon rythme cardiaque ralentis, je connais le protocole, mes réponses par cœur, mon sourire « caméras » s’installe aussitôt sur mes lèvres et d’une poignée de main, je salue la première journaliste qui vient à ma rencontre puis m’assoie sur la chaise devant elle. Elle parait jeune, elle est belle, un autre jour je l’aurais volontiers dragué mais mon cerveau ne réagis pas comme à son habitude. Je n’arrête pas de sourire, on dirait que je tente de me rassurer. Elle me dit bonjour, je réponds. Son nom c’est Carla, celui du magasine : Eros Stars, j’ai envie de lancer que ça n’est pas très original mais je m’en empêche, je ne sais d’ailleurs pourquoi.

Elle me demande si je suis prêt, je me contente d’hocher la tête. La première question arrive alors : « D’après la biographie que j’ai entre les mains, vous êtes né le 9 Novembre 1985 en Grèce. Après avoir fait des recherches plus approfondis, j’ai découvert avec étonnement que vous étiez né à Eros justement, vous en parlez très peu, comment se fait-il ? Auriez-vous une quelconque aversion pour votre propre ville natale? Ou est ce que ce serait une enfance douloureuse la raison de ce silence à ce propos ? » Trois questions en une, trois questions horriblement connes en une, trois questions visant à me piéger. Mon sourire disparait, ma mine de désappointé comédien fait surface, je m’apprête à répondre quand je me rends compte que je n’ai pas de réponse toute prête, et là mon esprit m’informe que cette question ne m’avait jamais été posé avant, alors là je me mets à réfléchir, pourquoi est ce que diable il n’a jamais été question d’Eros avant. Je décide alors de construire une réponse fictive : « Et bien, il n’est question ni d’aversion, ni de traumatisme, on ne m’a tout simplement jamais parlé de ma ville natale. »Elle me regarde longuement puis reprend comme si je n’avais rien dit : « Ne serait-ce pas plutôt parce que votre mère vous a abandonné ? » Elle lance ça sur un air défiant et je comprends que le but de son interview n’est pas vraiment celui de survoler poliment mon actualité, mon sourire disparait alors et je préfère jouer la carte de la franchise « Vous avez raison ma mère m’a abandonné à la naissance. Mais vous savez quoi ? Elle ne m’a abandonné ni à un ivrogne, ni à la rue, ni à un pédophile, mais à un père aimant qui a vraiment tout fait pour que je ne ressente jamais ce manque. Et étrangement, il a réussi et de manière extraordinaire. J’ai donc vécu une enfance absolument merveilleuse, peut être pas merveilleuse comme l’entendrai certains mais heureuse, aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais manqué de rien. Pourquoi est ce que ma mère m’a abandonné ? Parce que voyez-vous, elle a rencontré meilleure que mon père, ailleurs ! Elle est partie quand j’avais trois ans pour ne jamais revenir, j’ai perdu contact avec elle et ça n’est pas allé plus mal. Mon père ne s’est pas laissé abattre mais à au contraire trouvé la force de m’éduquer tout seul… »Je ne sais pas ce qui me prends de tout dévoiler ainsi, même ce que jamais je n’aurais dit à personne. Mais je sens un vent me transporter, quelqu’un d’autre parler à ma place. Serait-ce Plume ? Je n’arrive à me la sortir de la tête. Je me rends compte que j’ai la tête baissé vers mes pieds, je me ressaisis, je la voix noter quelques mots que je tente de lire mais impossible.

Elle me regarde, cache son bloc note puis parle : «Vous avez dit que votre enfance n’a pas été merveilleuse comme certains l’entendent, que voulez vous dire par là ? » [color] J’ai l’impression d’être assis face à ma psy, je réponds quand même : «Je veux dire que je n’étais pas l’enfant extravertie et plein de vie, je n’avais pas non plus un tas de camarade de classes, il arrivait même que je sois persécuté. Mais j’ai toujours eu quelqu’un pour me protéger. » Sans me laisser le temps de continuer, elle enchaine : [color=cadetblue] « Comme qui ? » A cette question, en recensant le nombre de personnes ayant un jour volé à mon secours, un mince chiffre se dresse dans mon esprit : Deux, voire trois, au maximum quatre. Mon père, Plume, April, Calliope. Mais surtout Plume. Je me souviens soudain de notre première rencontre, elle 6 ans, moi 7 ou 8. Egaré dans les ruelles, je commençais à paniquer, quand elle est arrivée, juste comme ça, me prenant la main simplement, elle m’a tiré de ma peur puis on est devenu amis. Avant que ça ne se complique. Je la vois attendre ma réponse alors enfin je sors : «Mes amis, mon père… » .

Elle note, toujours, encore et moi je ne pense qu’à Plume, son image, les reflets de ses cheveux blonds, le son de sa voix cristalline. Comme j’aimerais la réentendre, un instant j’ai envie de tout quitter, de sortir et aller la retrouver mais la voix de Carla a des effets hypnotiques sur moi, dès les premiers mots, je me résigne. « Quel adolescent avez-vous été ? », question vague, celle-ci je l’ai déjà entendu, je réponds automatiquement : « Un adolescent normal, quelque peu rebelle comme dirait-on, en fait je n’aimais pas l’école, je fuyais les cours pour ma guitare…Des choses dans le genre…Rien de bien grave. » La réponse ne la satisfait pas, ça se voit sur sa gueule, elle ne note rien, elle me regarde, elle me fait presque peur, je tends ma main vers le verre sur la table, je sens son regard dessus, ma main tremble alors. FOUTU MOI QU’EST-CE QU’IL M’ARRIVE ?? « Donc votre passion de la musique vient de là ? Echapper au monde, à la réalité, aux gens, à la société, qu’est ce qui expliquait ce besoin et est-ce que vous le ressentez toujours ? » Ses paroles n’ont pas de sens, mais je me rends compte au fur et à mesure qu’elle a raison, que ce n’était pas parce que j’adorais ma guitare mais plutôt le sentiment d’évasion du regard des autres qu’elle me procurait, alors je souris pensif puis répond : « Je ne sais pas, je ne m’étais en fait jamais posé la question auparavant mais ça n’est pas faux, je crois que je n’ai jamais beaucoup aimé le monde ou alors lui qui ne m’accueillait pas comme je pensais le mériter. » Un sourire se peint sur son visage, pourquoi ? J’arque le sourcil m’apprêtant à lui poser la question mais encore une fois, elle me coupe dans mon élan, je me résigne sans broncher, à croire que je me suis soumis. (a)

Elle : « Adolescence rime souvent avec premières amourettes, étiez-vous déjà ce garçon aux 100 conquêtes qu’on a l’impression que vous êtes maintenant. » Un sourire narquois se tresse sur mes lèvres, elle a perdu toute crédibilité, une telle question ? Voilà qu’elle fait dans la banalité, ma réponse est censée être dans ma tête, sortir tout de suite en une réplique prête à être retranscrite, sauf que quelque chose m’a échappé, ce n’est pas vraiment le Dipson Eugène qui contrôle parfaitement ses paroles et ses gestes qui est en moi mais un être spontané complètement con qui va finir par me foutre dans la merde. Et c’est alors qu’il prend la parole, je me crois presque dans un Remake de mauvais goût d’Incontrôlable, sauf qu’il ne prend même pas la voix de l’âne de Shrek, c’est bien la mienne, d’un calme étrange en plus : « Autrefois c’était plus compliqué…Il y avait eu quelques amourettes de vacances ou de lycée, seulement je n’arrivais pas à m’attacher et il y avait toujours ELLE dans mon esprit, je ne sortais pas avec une fille plus d’une semaine, je prenais un malin plaisir à les humilier, tromper, blesser, si bien que quand j’ai enfin réussi à l’avoir ELLE et aucune autre, il s’est passé l’inévitable : j’ai fui, à la fois par peur et pour me prouver que j’étais toujours Dipson le vrai, Dipson le sans scrupule. » Et c’est ainsi que je perdis la moitié de mes fans féminines…Je fais une pause, regarde dans le vide, rien ne semble pouvoir m’arrêter, rien n’a d’importance, même pas cette dernière réalité, de plus j’ai besoin de parler, de parler d’ELLE : Plume, ma Plume, celle que j’ai vu au travers de la vitre et dont l’image ne me quitte l’esprit. « Une semaine s’est alors écoulé, je ne la voyais plus, c’était pourtant censé être mon amie, ma plus proche amie, je continuais à la fuir, parce que j’avais peur de sa réaction, parce que je voulais lui faire plus mal encore, je ressentais son emprise sur moi comme une morsure, je ne voulais pas de ce soi-disant confort de couple, et puis les jours ont passé et jusqu’à un soir où je me suis enfin rendu à l’évidence, je l’aimais, je ne pouvais me cacher plus que ça et je suis donc allé m’excuser. C’était dur, pour moi l’orgueilleux cruel, prétentieux, arrogant, mais je l’ai fait, j’ai réussi à surpasser cet égo de con, naturellement je ne l’ai pas regretté et j’ai vécu la plus belle nuit de mon existence. »