« De nos jours, le grand amour a quelque chose de désuet » Ft. Hyperion

	« De nos jours, le grand amour a quelque chose de désuet »

« Hey papounet ! Comment va ? »
« Bien mon cœur. Ca te dirait de manger avec moi ce midi ? »
« Papa c’est pas que je veux pas, mais j’ai plein de patients et… »
« Shana Isabella Alanias ! »
« Oui oui papa… »
« C’est bien ma fille ! »
« Je dois te laisser papa… »
« On dit quoi d’abord ? »
« Je t’aime papa. »
« Moi aussi boucle d’or, à tout à l’heure. »

Shana raccrocha le sourire aux lèvres. Elle n’arrivait jamais à avoir le dernier mot avec son père. Il était toujours là pour elle, la forçant à sortir, voir le monde et lui indiquant bien souvent le chemin à suivre. Une constante dans la vie de Shana qui n’était pas superflue comme le savait les gens la côtoyant depuis assez longtemps. Le premier « abandon » que vécu Shana fut celui de sa mère, morte à sa naissance. Cette disparition fut suivit par de nombreuses autres. Shana et les hommes c’était un gros fouillis duquel n’était ressorti de bon jusqu’à présent. Si ce n’était pas eux qui partaient, c’était elle qui sabotait leur relation. Une manière de se protéger, de ne pas revivre les mêmes souffrances. Elle était célibataire à présent et « heureuse » de l’être, du moins c’est ce qu’elle assurait à ses amis. L’odeur du cœur qu’elle tenait entre les mains la rappela à la réalité. Ce n’était pas le moment de rêvasser, elle avait un corps à examiner et disséquer. Une jeune femme des plus normales qui fumait apparemment comme un pompier, bien que ce ne soit pas ça qui l’ait tuée mais bien le coup de matraque qu’elle avait reçu sur la nuque. Ne l’oublions pas, Shana était médecin légiste et son métier consistait en gros à examiner les morts et à découvrir leurs moindres petits secrets pour les besoins d’une enquête. Un métier qui lui convenait parfaitement, même s’il lui arrivait un peu trop souvent de rêvasser ou de se raconter des histoires toute seule à force de veiller un mort. Il était quelque chose comme onze heure et elle avait une heure pour boucler l’examination de son patient avant de rejoindre son papounet. Elle avait décidé de lui accorder une heure, pas plus. Il fallait qu’elle enchaîne sur un cours à quatorze heure et voulait le préparer avant.

Son examen terminé, elle se lava les mains soigneusement et raccrocha la blouse pour le moment. Quelques signes de tête et sourires plus tard, elle était dehors et en route pour la marina. Depuis qu’elle était petite Shana prenait le bus et ce n’était pas maintenant que ça allait changer. Son salaire lui permettait de prendre une voiture, mais elle trouvait stupide de l’utiliser en ville. Tout ça pour dire, qu’elle fut obligée de courir après son bus pour arriver à l’heure au rendez-vous avec son père. Le connaissant, il avait du réserver dans un petit restaurant où les prix et plats n’étaient pas trop corsés, parfait pour Shana. Elle descendit du bus et se plaça face au port, quel bonheur de vivre dans cette ville ! Cette chaleur, l’odeur de la mer et… BIIIP Elle venait de recevoir un message de son père. Elle se souvenait encore le moment où il avait fallu apprendre à son père comment utiliser son portable, une bonne crise de rires. Il s’excusait de ne pouvoir venir ce midi à cause d’un empêchement de dernière minute. Elle opta donc pour un sandwich à emporter, de préférence plein de sauce. Le problème avec ce genre de plat c’est que quand on ne sait pas les manger on en met partout. C’est ce que fit Shana, mais elle ne projeta pas de sauce sur elle, mais sur un homme en face d’elle. C’est en souriant pour cacher sa gêne qu’elle releva sa tête et reconnu… c’est quoi son nom déjà ? Bon c’est à ce moment là qu’elle LE reconnu. Elle était bouche bée… allait-il la reconnaître ou juste l’insulter parce qu’elle avait pourri son haut ?

« Ravi d’avoir fait ta connaissance. Je te rappelle aussitôt pour que l’on remette ça, d’accord ? »

Quelques années auparavant, Hypérion était beaucoup plus jeune et bien moins en forme qu’aujourd’hui et la jeune femme aux cheveux ors se tenaient face à lui avec un sourire amusé au bord des lèvres. Ils avaient certainement passé le meilleur moment de leurs vies respectives à discuter d’absolument de tout et de rien sans considérer qu’il s’agissait d’une perte de temps. Il avait apprécié le fait de se plonger et de se perdre dans son regard clair sans avoir le sentiment de paraître idiot. Elle était apparue au moment même où il avait besoin d’avoir quelqu’un à ses côtés, le courant était tout de suite passé. Ils s’étaient pour ainsi dire trouver au bon moment. Une promesse. Il lui avait dit qu’il la rappellerait, ils s’échangèrent leurs numéros avec la ferme intention de vite se retrouver pour pouvoir faire davantage connaissance et pourquoi pas penser à quelque chose d’un peu plus sérieux car après tout la vie nous réserve tellement de surprises. Oui mais voilà les choses ne se passent jamais comme prévues et Hypérion n’a jamais recontacté la jeune femme, concours de circonstances ou quelque chose du même type. Ils ne s’étaient plus vus … jusqu’à aujourd’hui.

* * * *

[i] Quand son regard croisa celui de la jeune femme, c’est ce souvenir qui vint le frapper de plein fouet comme s’il s’agissait d’une claque imaginaire. Il avait eut le sentiment de revivre la scène comme s’il s’agissait de la veille, il pouvait sentir à nouveau son parfum, il pouvait à nouveau entendre le rire et la voix de la jeune femme si souriante. Il se souvenait d’absolument tout et même de son prénom, surement parce qu’il avait une mémoire d’éléphant mais peut-être aussi parce qu’il ne l’avait pas totalement oublié et que son numéro était toujours dans son téléphone sans pour autant qu’il ne l’utilise pour la contacter. Pourquoi ? L’amour est un concept soumis aux variabilités de la vie, parfois, nous sommes célibataires, parfois nous nous retrouvons. Shana était intervenue dans cette descente, avant cette nouvelle montée, entre deux temps que Hypérion ne pouvait gérer … Il avait toujours eut du mal à gérer les ruptures, les situations gênantes et revoir la jeune femme en se disant qu’il ne pourrait plus jouer à ce jeu de séduction lui faisait un peu peur. De plus, il se disait qu’aujourd’hui aussi, la situation serait gênante. Se souvenait-elle de lui ? Avait-elle attendu son coup de fil ? Pourquoi ne pas l’avoir appelé elle aussi ? Aurait-elle dû ? Qu’est ce que cela aurait-il changé à la situation ? Tant de questions sans réponse. Il décida tout de même de lui répondre quelque chose, lui répondre quelque chose qui montrait qu’il la reconnaissait car après tout, c’était le cas.

« Ne t’inquiète pas … ce n’est pas grave, c’est que de la sauce. Oh mais … on se connaît ?! Shana ? Shana, c’est ça ? »

Lui dit-il avec un sourire amusé et surpris.
Ce n’était pas une mauvaise surprise loin de là. Il était toujours agréablement surpris de revoir des personnes qu’il n’avait pas vu depuis longtemps même si là c’était de sa faute s’ils ne s’étaient pas vus depuis longtemps. Il essaya alors d’essuyer la sauce qu’il y avait sur son tee shirt avec l’aide d’un mouchoir trouvé dans la poche de son jean délavé, tout en posant son regard sur la jeune femme entre temps. Une fois qu’il considéra les choses moins graves qu’elles ne l’étaient au début, il abandonna cette tâche pour se concentrer sur cette jeune femme aux cheveux d’ors qui lui rappelait étrangement d’excellents moments.

	« De nos jours, le grand amour a quelque chose de désuet »

« Hyperion ? C’est original comme prénom, je ne risque pas de l’oublier. »

Avait-elle dis en souriant quelques années plus tôt lors d’une soirée qui promettait d’être des plus agréables. C’était pourtant à reculons qu’elle y était allée, forcée par ses amis chéris d’amour qui ne voulaient que son bien et surtout qu’elle sorte un peu de ses bouquins. A cette époque, elle n’était pas des plus sociables. Oh bien sûr, elle ne mordait pas les malheureuses personnes qui se risquaient à leur parler, les accueillant plutôt avec un doux sourire, mais elle ne courait pas après les rencontres. C’était pour ça qu’elle n’était pas très enthousiaste à l’idée d’aller à une soirée où elle ne connaissait que peu de personnes. Après avoir fait un tour rapide des lieux, elle s’était installée confortablement sur des coussins dans l’une des chambres et avait lancé le disque resté dans le lecteur. C’est sur une musique jazzy qu’était entré le garçon qui allait lui tenir compagnie toute la soirée. Comme à son habitude, elle l’avait accueillit avec un grand sourire et ils avaient tout naturellement commencé à discuter. Elle ne regretta pas bien longtemps sa solitude, préférant de loin partager un délicieux moment avec ce garçon qui se trouvait être des plus charmants. Une soirée où ils furent basculés dans un autre monde, le leur. Tout s’enchaînait avec une harmonie apaisante, les rires, les regards, leurs mains qui se frôlent lors de l’échange de numéros en fin de soirée et un baiser des plus doux qui augurait un avenir des plus agréables…

****

« Je… oui c’est moi Shana. C’est marrant de se retrouver maintenant, enfin ça l’est moins pour ta chemise ! Hyperion, non ? Je… J’ai quelque chose dans mon sac pour les tâches. Habituellement je les cache avec ma blouse, mais je suis tellement une catastrophe quand je mange que j’ai fini par inventer le mélange parfait pour pouvoir les faire disparaître en toutes circonstances ! Je… Enfin je vais m’occuper de ça. »

Shana ne pouvait s’empêcher de sourire. Bien sûr qu’elle en avait voulu à Hyperion de ne pas l’avoir appelé, mais elle ne l’avait pas fait non plus. Se retrouver aujourd’hui avait quelque chose d’amusant, de touchant, enfin bref elle ne lui en voulait plus. Elle posa son sac par terre, un grand en cuir et fouilla dedans pendant un bref moment. C’est avec une lignette et une bouteille de shampoing sans étiquette qu’elle se releva. Sans vraiment demander l’avis d’Hyperion, elle commença à nettoyer sa tâche. On ne voyait plus grand-chose, vu qu’il avait commencé le boulot. Une fois fini elle jeta dans une poubelle à côté sa lingette et rangea son shampoing dans son sac. Leur proximité avait ravivé des souvenirs, certainement parce qu’il n’avait pas changé de lessive durant toutes ces années. Cette odeur était encore intacte dans l’esprit de Shana. Elle ne pouvait s’empêcher de détourner le regard, puis le regarder de nouveau ensuite. C’était incroyable de se retrouver à présent. Il avait changé, il avait l’air plus sûr de lui, un peu plus beau aussi. Elle ne put s’empêcher de rire un petit moment, un rire discret mais qui montrait bien la surprise heureuse qu’était leur rencontre.

« Alors, tu fais quoi dans la vie ? Je crois que tu m’avais dit vouloir être dans la musique. C’est un rêve devenu réalité ou… enfin c’est peut être con de te demander ça. On a passé qu’une soirée ensemble après tout. Je… Tu sais quoi ? Attend deux secondes ! »

A présent, elle n’en revenait pas d’avoir oublié cette histoire. Pendant de longs mois, elle avait attendu son appel. Tout avait été si parfait cette soirée là, elle était sûre qu’il était l’homme de sa vie, son grand amour. Elle avait finalement pensé à l’appeler, mais n’avait pas pu parce qu’elle avait perdu son numéro. Shana fouillait de nouveau dans son sac. Il y a quelques semaines, elle avait remis la main dessus. Un vieux paquet d’allumettes où il avait marqué son numéro avec un crayon pour souligner les yeux. C’était incroyable de le retrouver si longtemps plus tard. Ah ! Elle avait réussi à trouver ce qu’elle cherchait. Elle se releva alors toute fière avec un sourire éclatant. Elle tendit la boite d’allumettes à Hyperion.

« Je pensais l’avoir perdu. En souvenir d’une soirée des plus agréables je t’offre ce paquet d’allumettes. »

Lorsqu’il posa son regard sur la jeune et qu’il fut transporté par cette réminiscence, il eut un petit sourire amusé aux lèvres. Mais c’est qu’elle n’avait pas changé, toujours en pleine forme et un vrai moulin à paroles. Il se souvenait à quel point il avait apprécié leurs conversations, leurs fous rires, avec un petit sourire aux lèvres. Hypérion ? Elle se souvenait encore de son prénom, c’était quand même un sacré défi lancé à sa mémoire mais il était tout de même ravi de voir que la jeune femme avait toujours cet homme en mémoire, ou du moins un vague souvenir de son prénom. En même temps comment oublier un prénom comme celui-ci ? Ses parents avaient certainement fait exprès pour que leur fils soit inoubliable, alors est-ce qu’ils avaient réussi ? Certainement. Elle avait quoi pour les tâches ? Hypérion arqua un sourcil en se demandant si la jeune femme n’était pas devenue folle. Elle se promenait avec ça sur elle … mais pourquoi ? Parce que ce n’était peut-être pas la première fois que cela lui arrivait ou du moins c’est ce qu’il se disait. Il n’eut même pas le temps de répondre que la jeune femme était déjà en train de fouiller dans son sac après ce produit magique et miracle qui allait permettre à Hypérion de ne pas se promener avec une tâche au beau milieu de son tee shirt.
Il posa son regard sur cette jeune femme qui s’agitait sur son tee shirt dans le but d’effacer sa bêtise.

« Oh mais arrête, tu n’es pas obligée. Ce n’est pas grave du tout ! C’est qu’une tâche, t’inquiètes pas pour ça. »

Dit-il d’une voix posée mais amusée. Il la voyait s’agiter et il revoyait cette jeune femme d’il y a quelques années qui avait été plutôt réticente à l’idée qu’ils partagent leur temps durant cette soirée, il se souvenait de cette jeune femme qui avait ce parfum si envoutant et ce regard si hypnotique. Il se souvenait de tout cela et il se rendait compte que ce n’était pas une chose positive puisque tout cela voulait dire qu’il regrettait presque de ne pas l’avoir rappelé, de ne pas avoir tenté … qui sait ? Ou alors peut-être était-ce simplement le plaisir de retrouver un merveilleux souvenir au coin d’une rue. Il posa à nouveau son regard sur son tee shirt dont la tache avait disparu et il lança un regard amical à cette jeune femme qui avait bien un remède miracle contre ce genre de problèmes du quotidien.

« Merci beaucoup. C’est … magique ce produit. »

Il avait dit cela en lui faisant un clin d’œil amical avant de glisser les mains dans les poches arrières de son pantalon.
Hypérion plongea son regard dans celui de la jeune femme bien que cela le gênait légèrement et le troublait un peu trop mais cette sensation n’était pas si dérangeante que cela. Qu’est ce qu’il faisait dans la vie ? Oh ! C’était une question à laquelle il n’aimait pas trop répondre puisque ce qu’il faisait dans la vie ressemblait davantage à un rêve de gamin qu’au métier d’un adulte. La musique ? Oui, déjà à l’époque, c’était quelque chose qui lui plaisait et la musique faisait battre son cœur. Hypérion avait toujours été attiré par le domaine musical et artistique et en effet, c’était un rêve devenu réalité … elle avait raison. Et même s’il ne s’agissait qu’une simple soirée, une soirée des plus banales, elle avait été une soirée magique aux yeux du jeune homme qui avait approché le bonheur grâce à cette jeune femme simple et sincère qui lui ressemblait beaucoup bien qu’ils venaient de mondes différents.

« Je suis tatoueur, perceur ici même. A Eros. Mais je n’ai toujours pas quitté la musique … puisque j’ai toujours ce groupe que j’avais déjà au lycée. On a fait quelques cds qui ne se vendent pas, bien entendu, et on chante dans quelques bars … »

Avait-il eut le temps de répondre avant que la jeune femme ne replonge dans son sac pour chercher après … Après quoi ? Après une boite d’allumettes ? Il arqua un sourcil avant de rire doucement en la voyant avec cette petite boite entre les mains. Son rire était des plus calmes et doux. Hypérion était apparemment surpris de voir que cette jeune femme avait encore ce paquet d’allumettes.

« Oh. Je m’en souviens … Une boite d’allumettes ? il faut avouer que c’était original. »

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« C’était le seul truc qu’on avait sous la main avec ma vieille photo d’identité. Je me revois encore t’écrire mon numéro en me disant que tu n’allais certainement pas m’appeler parce que je faisais un sourire trop bizarre sur la photo. On aurait dit que j’étais possédée. Finalement, je n’avais pas totalement tort. »

Son dernier commentaire fut accompagné d’un sourire entendu. C’était de l’histoire ancienne à présent et elle n’allait pas lui faire une crise parce qu’il ne l’avait pas appelé après cette soirée. Ce simple sourire suffirait à lui montrer qu’elle n’avait pas oublié, mais ne l’obligeait nullement à se justifier. Il était tatoueur ? Cela n’étonna pas Shana. Elle ne le voyait pas vraiment star internationale de musique ou avocat, pas trop le genre du bonhomme. Son groupe était toujours d’actualité ? Elle se rappelait s’être demandée si elle aimerait la musique qu’il jouait, elle était sûre que oui. Ils étaient en harmonie à l’époque, aussi bien en musique qu’ailleurs. Oh bien sûr, ils n’avaient pas exactement les mêmes goûts, mais au moins ils les défendaient avec honneur et avaient partagé beaucoup de choses cette soirée-là. Ils avaient parlé pratiquement toute la nuit, ce qui avait amené Shana à se confier sur sa mère. A l’époque, elle avait déjà cette envie de tout découvrir du à la mort mystérieuse de sa mère, mais elle n’avait pas encore envisagée son métier actuel comme aboutissement de sa quête du savoir.

« Tatoueur ? C’est marrant, mais j’ai jamais eu l’envie de m’en faire faire un. Non pas que j’ai du mal avec les aiguilles, même si ça n’a rien d’agréable… mais je ne saurais pas quoi me faire tatouer, tu vois ? C’est pour la vie ce genre de trucs, alors faut être sacrément sûr de soi. J’suis contente que tu es gardé ton groupe, faut pas abandonner ses rêves. Moi, je suis devenu légiste. J’avoue que c’est pas commun comme métier, mais j’aime ça. Découvrir la vie de toutes ces personnes, la vérité et… Je parle trop ! Tu as sûrement quelque chose à faire. Je t’agresse avec ma sauce et je te bombarde de questions, je suis désolée. »

Elle n’avait pas perdu son sourire depuis tout à l’heure. Le retrouver la mettait dans tous ses états. Le moulin à paroles ne semblait pas vouloir tomber en panne. Elle ne savait pas trop si c’était parce qu’elle avait l’espoir de raviver les sentiments éprouvés cette soirée-là ou si c’était le plaisir de retrouver un vieux souvenir, une bribe du passé, mais elle ne voulait pas quitter tout de suite Hyperion. Tout d’un coup, son autopsie de cet après-midi lui semblait bien moins urgente. Elle était tellement à l’ouest qu’elle avait zappé son sandwich qui coulait maintenant sur le sol. Elle décida donc de le jeter lui aussi à la poubelle. Shana se retrouvait sans déjeuner, mais que diable ! Ce n’est pas toujours que le hasard nous surprend de manière aussi douce. Elle pouvait même forcer un peu sa chance.

« J’abuse sûrement, mais on pourrait aller prendre un verre. Histoire de partager un moment ensemble, que tu puisses en placer une. »

Elle eut un rire léger et sourit à Hyperion. Elle n’avait aucune envie de couper de suite les liens avec un souvenir si doux.

Hypérion esquissa un sourire amusé quand elle se mit à lui parler de ce qu’ils avaient sous la main pour s’échanger leurs numéros. Il revoyait très bien le visage de la jeune femme sur cette photo d’identité qui doit se trouver dans un des tiroirs de son bureau ou dans un endroit similaire à celui-ci. Puis, elle lui dit qu’il avait dit qu’il ne l’appellerait pas parce qu’elle faisait bien trop peur sur cette photographie. Lui en voulait-elle ou alors s’était-elle dit que ce n’était que des bêtises d’adolescents ou de jeunes adultes ? Il se contenta d’hausser les épaules avec un petit sourire enfantin qui lui allait certainement à ravir. Il ne savait pas trop quoi répondre et en réalité, il considérait qu’il n’y avait pas vraiment de réponse à avoir là-dessus … Hypérion croisa les bras avant de plonger son regard dans celui de la jeune femme et de poursuivre par quelques mots :

« Tu n’étais pas si effrayant en réalité … plutôt rigolote, je dirais. »

Il pensait sérieusement et sincèrement ce qu’il disait. Hypérion avait apprécié le fait de la voir faire cette sorte de grimace qui lui donnait un air enfantin tout à fait adorable. Il avait apprécié Shana pour sa simplicité, sa sincérité et son côté amusant mais il ne lui avait tout de même pas répondu. Hypérion avait dû retourner avec sa petite amie, sa petite amie qu’il connaissait depuis quelques mois et avec qui il connaissait des hauts et des bas. Il n’avait pas osé affronter à nouveau cette jeune femme qui représentait la tentation. Il s’était craint et il avait eut raison, en fait. Puis, ils se mirent à parler de leurs vies futures et de leurs travails respectifs : lui continuait sa vie de marginal et elle, elle était légiste ce qui pouvait le surprendre à première vue. Une beauté comme elle légiste, il imaginait les légistes vieux … et cela le surprenait un peu. Certainement à cause des séries américaines pensa t-il avec amusement. Elle se mit à lui parler de tatoueur et de tatouage. Elle n’avait jamais voulu s’en faire un puisqu’elle ne savait pas quoi se faire … sachant que cela allait rester toute sa vie. Hypérion arqua un sourcil en se disant qu’elle avait certainement et amplement raison, il voyait beaucoup de jeunes femmes voulant se faire tatouer des motifs qu’elles regretteraient d’ici quelques années … Il refusait impérativement de les tatouer.

« Oui. Il y a beaucoup de monde qui viennent se faire tatouer des motifs qu’ils regretteront des années plus tard … mais on refuse de le faire. On n’a pas envie de marquer à vie quelqu’un qui le regrettera. C’est une décision importante à prendre. Tu as raison de penser ça. Légiste ? Ouais, voilà un métier qui sort du commun. Je suis un petit joueur à côté de ça. »

Lui dit-il en terminant sa phrase par un clin d’œil amusé.
Il ôta les mains des poches arrières de son pantalon pour croiser à nouveau les bras, à croire qu’il s’agitait tout seul dans son coin. Hypérion fut surpris par la jeune femme qui l’invita soudain à prendre un verre. Il ne s’agissait pas d’une mauvaise surprise, loin de là. Il s’agissait davantage d’une excellente surprise et il en était ravi. Boire à nouveau un verre avec une jeune femme qu’il avait autrefois connu lui plaisait surtout que dans ses souvenirs, elle avait pas mal de conversation et un sacré caractère : alors il n’allait pas s’ennuyer. Il tapa dans ses mains comme s’il s’agissait d’une excellente idée puis afficha un large sourire enthousiaste.

« J’en serais ravi … et en effet, ça me permettrait de placer quelques phrases puisqu’apparemment tu n’as pas changé, un véritable moulin à paroles. Tant mieux parce qu’on a du temps à rattraper et il va falloir qu’on se raconte beaucoup de choses … C’est moi qui invite !»

Il avait dit cela d’une traite comme s’il avait peur que la jeune femme ne lui coupe la parole. Hypérion se demandait bien où ils pourraient aller prendre un verre et manger un petit truc puisque la plupart des endroits à la mode seraient bondés … c’était l’heure à laquelle tout le monde cherchait un coin tranquille mais il était persuadé qu’ils parviendraient à se trouver un petit coin où ils pourraient discuter de tout et de rien comme au bon vieux temps.

	« De nos jours, le grand amour a quelque chose de désuet »

Shana ne put s’empêcher de rire. Depuis toujours, on l’avait qualifié de « pipelette ». Oh bien sûr, le terme évolue en fonction de l’âge, mais l’idée reste la même. Elle se rappelait avoir poussé certains de ses professeurs au bord de la crise de nerfs à force de leur poser des questions à longueur de temps. Le bruit de fond en cours, c’était elle. Cependant, personne ne lui avait jamais rien reproché. C’est ce flot de paroles qui montrait l’intérêt qu’elle portait aux choses, une curiosité maladive qui avait le don d’énerver autant que de faire rire. Aujourd’hui, c’était elle qui donnait les cours et répondait aux questions de ses élèves. Contrairement à d’autres, elle les poussait à parler entre eux, à poser des questions, aussi bête qu’elles soient, mais surtout à s’intéresser à tout ce qui les entoure. C’était un moment qu’elle appréciait plus que tout, parce qu’il est assez dur de faire la conversation à un mort…

Sans vraiment réfléchir, elle prit la direction d’un café où elle avait l’habitude d’aller avec son père. Il n’avait pas vu sur le port, mais n’en restait pas moins agréable. Sa musique des années trente et son look vintage ne faisait pas de lui le lieu préféré des touristes, ces derniers étant plus intéressés par les cafés « pittoresques » leur rappelant qu’ils se trouvaient bien en Grèce. C’est une serveuse qu’elle appréciait tout particulièrement qui les accueillit. Shana se dirigea vers le fond et prit place à une table qui se trouvait à proximité d’une fenêtre. Il faisait bon d’être ici, dans un café qu’elle aimait plus que tout, où elle avait ses repères. Ils n’avaient pas beaucoup parlé en marchant, échangeant des banalités sur les passants ou sur leur vie à Eros. Shana ne pouvait s’empêcher de sourire, replonger dans ce souvenir avait quelque chose d’enivrant. Ils étaient assis l’un en face de l’autre à présent et allaient tenter de se redécouvrir. Dans ce genre de situation on a toujours peur de paraître stupide, de décevoir l’autre ou d’être déçue. Pour pallier à ces moments de gêne, Shana avait une technique.

« Si ça ne te dérange pas, je vais manger un peu. Mon sandwich a été la source de jolies retrouvailles, mais n’a pas rempli sa fonction première, à savoir : me nourrir. Je paierais ma part. »

Elle lui sourit et se tourna vers la serveuse.

« Je prendrais cette salade »

Elle la désigna sur le menu, c’était les salades composées qu’on pouvait voir partout.

« et un verre de vin blanc, merci »

Elle attendit qu’Hyperion passe commande puis tendit sa carte à la serveuse.

Sa technique résidait à éviter les malaises à coup de salade. Une manière élégante de ne pas répondre étant de montrer ostensiblement que l’on ne pouvait pas pour cause de bouche pleine. Ce ne serait pas la première fois qu’elle l’utiliserait et certainement pas la dernière. C’est aussi pour ça qu’elle aimait bien ce café, parce qu’elle pouvait y manger. Si on ajoutait à ça les tremblements de terre que ses gargouillis manquaient de provoquer régulièrement, sa technique s’avérait être la bonne. Elle remit sa mèche derrière son oreille, signe de nervosité. C’était toujours comme ça avec elle, impossible de tenir en place quand elle était stressée. D’ailleurs, en l’observant bien on pouvait voir qu’elle sautillait sur son siège depuis tout à l’heure. C’était discret, mais bien énervant une fois qu’on l’avait vu.

« Tu crois au destin ? Non, parce que c’est incroyable qu’on se retrouve là après toutes ces années. Alors j’me dis que ça ne doit pas juste être le hasard. »

Shana était la première à réfuter l’existence d’une destinée. Il était impossible, d’après elle, que nos « grands moments » soient définis à la naissance. Une belle connerie, c’est comme ça qu’elle l’appelait le destin Pourtant, ce genre de rencontres pourraient lui faire croire le contraire…

Hypérion suivit la jeune femme qui prenait la direction d’un café, il ne réfléchissait pas vraiment où il se rendait puisqu’il se contentait de suivre la jeune femme en se tenant à ses côtés. Il était parfois amusant de le voir marcher les mains dans les poches, les yeux rivés vers sa voisine et la bouche close à écouter ce moulin à paroles qui ne semblait plus s’arrêter … d’ordinaire, c’était lui qui ne cessait de parler. Comme quoi les choses pouvaient changer. La musique des années trente qui parvint à ses oreilles fit naitre un magnifique sourire sur ses lèvres, il adorait ce genre de musique bien que ce ne soit pas vraiment ce qu’on disait en le voyant pour la première fois. On imaginait toujours Hypérion dans un concert de rock, les cheveux gras, en train de head banger comme un adolescent. Cette image que l’on se faisait de lui l’amusait. Hypérion laissait Shana maitre de leur place au sein de ce café qu’elle semblait bien connaître vu le sourire que venait de lui adresser la serveuse. Ils atterrirent au fon du café, à une table près de la fenêtre. Ils s’installèrent l’un en face de l’autre. Cette mise en scène lui faisait penser à la première fois qu’il avait vu cette jeune femme, il repensait à cette fois où il s’était installé près d’elle et avait entamé la conversation. Cela l’amusait de se retrouver dans cette même situation.

Le jeune homme écouta Shana avec attention et ne put que rire doucement en l’entendant parler des « fonctions » de son sandwich. En effet, elle n’avait même pas eu la chance de le gouter puisque toute la sauce s’était retrouvée sur son tee shirt. Hypérion écouta la commande de la jeune et repensa soudain à cet article dans lequel on disait : « regarde ce que je mange, je te dirais qui je suis. » Il aurait été amusant de prendre Shana comme exemple, selon l’article, elle devait être frigide, coincée, chic, riche, bourgeoise, hautaine et surtout anorexique. Il adorait ces magasines dans lesquels on trouvait un ramassis de conneries que certaines personnes croyaient. Pour lui, selon ses souvenirs, Shana était totalement l’opposé de ce genre de femme mais il allait voir ce qu’elle était devenue … il était pressé de savoir quel genre de femme elle était devenue après tout ce temps. Mais avant cela, il posa son regard sur la serveuse qui venait prendre leur commande et lui demanda alors avec un large sourire :

« Je vais vous prendre un diabolo violette … on les teste une fois et on ne les quitte plus. »

La dernière partie de sa phrase était destinée à Shana à qui il venait d’adresser un sourire amusé. Bien entendu, il n’allait pas manger puisqu’il venait tout juste de s’engouffrer un plat de pates chinoises avant de passer par le port et puis, il ne prenait pas d’alcool durant la journée : travail oblige. Comme quoi, il était tout de même quelqu’un de sérieux notre petit Hyperion. Il ne mangerait donc pas. Alors que la jeune femme qui se tenait en face de lui était nerveuse, Hyperion comme à son habitude était des plus détendus et semblait plus qu’à l’aise dans ce café dans lequel il ne s’était jamais rendu. Comment avait-il fait pour passer à côté de cette merveille ? Enfin, pensait-il à ce café ou à cette séduisante jeune femme qui venait de replacer une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Il chassa cette idée de son esprit pour laisser parler la jeune femme qui se mit à mentionner le Destin.

« Non je crois pas en ce genre de trucs … Mais, je suis d’accord sur le fait que c’est assez extraordinaire de se retrouver, peu importe ce qui en est responsable, ça me fait vraiment plaisir de te revoir Shana. Alors qu’es-tu devenue à part une jeune femme qui décortique les morts comme des crevettes ? »

Lui dit-il avec un sourire amusé et sincère.
Il est vrai que peu lui importait la raison de leur retrouvaille, c’était parfait et c’est tout ce qui lui importait.

» Hyperion Koutsopoulos
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